François Biltgen au sujet du festival cinématographique "Luxembourg = Film" à Berlin et de l'industrie cinématographique au Luxembourg

La Voix du Luxembourg: Monsieur Biltgen, l'ambassade du Luxembourg à Berlin, avec le soutien de trois partenaires luxembourgeois, entend promouvoir, le temps d'une semaine, la production cinématographique luxembourgeoise de ces vingt dernières années. Que vous inspire cette initiative? Et pourquoi fallait-il la mettre en œuvre à Berlin?

François Biltgen: Je tiens en premier lieu à saluer le travail extraordinaire de promotion effectué par l'ambassade du Luxembourg à Berlin, qui a mis en place une manifestation d'envergure. Berlin est une capitale européenne et à ce titre, ce centre névralgique de l'Europe est tout indiqué pour illustrer l'une des facettes culturelles du Luxembourg, pour montrer que notre pays ne se résume pas à une place financière.

La Voix du Luxembourg: Faut-il en déduire que la Berlinale n'offre pas une vitrine conséquente à nos producteurs, à rebours du pavillon luxembourgeois au festival de Cannes?

François Biltgen: La Berlinale se distingue du festival de Cannes en ce qu'elle est davantage axée sur la réception des films auprès du public et de la critique, tandis que Cannes est avant tout un grand marché du cinéma. C'est le must pour tout producteur désireux de signer des contrats de distribution. L'objectif du festival "Luxembourg = Film" est tout autre: il vise à promouvoir les fruits de notre industrie du cinéma mais plus encore à refléter une autre image de notre pays auprès du grand public.

La Voix du Luxembourg: Ce festival, qui s'ouvre avec un film pour le moins audacieux - House of Boys -, sera l'occasion pour le public de découvrir un panorama de la production nationale à travers quelque 30 films. Au regard de celle-ci, quelles sont selon vous les "marques de fabrique" du cinéma luxembourgeois?

François Biltgen: La première réside dans le travail de coproduction: sans le concours de producteurs étrangers, l'industrie luxembourgeoise du cinéma ne pourrait rivaliser sur le plan international.

Deuxième particularité: le fait que nous réalisons des films en plusieurs langues: par exemple, House of Boys et Dust sont des films réalisés en anglais par des Luxembourgeois. Cette richesse linguistique est promesse de collaborations transfrontalières et gage d'une grande flexibilité lors des projets de coproduction.

Troisième distinction: le Luxembourg, s'il n'a pas vocation à générer des blockbusters, peut se targuer toutefois d'une filmographie à dimension sociale, dans l'esprit des films d'auteur.

Enfin, quatrième et dernière marque de fabrique: le Luxembourg se démarque par une abondante production de films documentaires, faisant preuve d'un certain know how en la matière.

La Voix du Luxembourg: Après avoir mis en place un secteur de production très prisé sur le plan à la fois technique et logistique, vous souhaitez que davantage d'acteurs luxembourgeois se profilent sur le grand écran. Comment faire? En instaurant des quotas lors de l'attribution des aides sélectives allouées par le Film Fund?

François Biltgen: Non. Ce travail ne pourra se faire que par des incitations positives. Je note toutefois que la volonté de recruter dans les rangs de nos comédiens émane parfois des réalisateurs étrangers - c'était le cas pour le film Fils unique où Miel Van Hoogenbemt a de sa propre initiative suggéré d'attribuer un rôle à Désirée Nosbusch. Enfin, le poids de nos producteurs joue un rôle significatif: plus ceux-ci ont de la renommée et plus ils possèdent des moyens d'influence au niveau du casting.

Les Assises du film luxembourgeois, qui se sont tenues le 3 mai au Luxembourg sous le titre 20 Joer Film Fong: Weider esou oder Kurskorrektur, ont bien démontré qu'il y avait non seulement des mouvements top down mais aussi buttom up. Aujourd'hui, la branche ciné s'est tellement développée que des protagonistes très divers du secteur ont un rôle majeur à jouer.

La Voix du Luxembourg: De plus en plus de films, tournés sur le sol luxembourgeois, sont reconnus à l'étranger. Mais force est de constater que la participation luxembourgeoise dans les coproductions est peu médiatisée, pour ne pas dire occultée. Comment expliquer ce manque de reconnaissance?

François Biltgen: Il n'appartient pas à l'Etat de défendre un film, mais bien à celui qui le produit. C'est un travail de promotion qui relève de la production. En revanche, ceci ne m'a pas empêché d'inviter, en marge du conseil "Justice et affaires intérieures", mes confrères européens à l'avant-première luxembourgeoise du film Illégal - un film bouleversant coproduit par le Luxembourg et qui aborde avec force nuance la problématique de l'immigration. Pour ce film, je n'ai pas hésité à faire de la publicité en ma double qualité de ministre de la Justice et des Communications.

La Voix du Luxembourg: En 1991, Pol Cruchten inscrit le Luxembourg sur la carte internationale du cinéma avec Hochzàitsnuecht, un film en langue luxembourgeoise qui est retenu dans la sélection officielle du festival de Cannes. Mais depuis lors seules des coproductions en langues «internationales» ont pu se prévaloir d'un tel retentissement. Quel chemin la production cinématographique luxembourgeoise a-t-elle parcouru depuis ce film?

François Biltgen: Je n'exclue pas qu'à l'avenir un autre film en langue luxembourgeoise connaisse un succès aussi retentissant. Mais au regard de la diversité culturelle du pays, il est judicieux de continuer à en tirer profit au travers de coproductions. Une des conclusions dégagées lors des assises est précisément la nécessité de venir en aide à une certaine frange de la production pour laquelle la coproduction n'est pas évidente.

La Voix du Luxembourg: Revenons à Illégal, sorti cette semaine en salle, un film qui suscite de vifs émois et jouit d'une belle reconnaissance internationale. Qu'estce que ce film a suscité en vous, François Biltgen?

François Biltgen: J'ai visionné ce film à Cannes lors d'une projection privée et j'en suis sorti tout retourné. Impossible de réagir à chaud: il m'a fallu deux heures avant de pouvoir en parler. Le sujet traite avec beaucoup de finesse, beaucoup de nuance, de la complexité de la problématique et c'est cela qui m'a séduit. Dans ce film, il n'y a qu'un seul protagoniste qui joue vraiment le rôle du «méchant» tous les autres sont plus difficiles à cerner. Et c'est cette justesse-là qui m'a conquis, car le monde n'est pas blanc ou noir. La réussite du film est de ne pas être simplement accusateur. Tout l'art de la fiction au cinéma est de susciter la réflexion par l'émoi, et je pense qu'lllégal a eu cet impact sur le public.

La Voix du Luxembourg: Comment a réagi l'homme de loi?

François Biltgen: C'est un film qui en effet touche également l'homme politique que je suis. Les décisions politiques sont toujours un compromis entre des intérêts divergents; la force du film est d'illustrer ce niveau de complexité-là.

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